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13 décembre 2015 7 13 /12 /décembre /2015 09:45

Le crédit d'impôt recherche (CIR) est un dispositif considéré comme à l'origine de la compétitivité de la France dans le domaine de la recherche, de l'innovation et du fait que de nombreuses entreprises étrangères y installent des centres de recherche. C'est la plus grosse "niche fiscale" et selon des termes convenus, repris en coeur par de nombreux consultants et commentateurs, il s'agit d'une aide aux entreprises. Le Medef et les chefs d'entreprise interrogés par les media le considèrent comme essentiel : il ne faut surtout pas y toucher.

 

Acies, un cabinet de conseil spécialisé dans l'assistance des entreprises en matière de crédit impôt recherche, vient de sortir son Cahier nº4 de l'Observatoire du CIR qui chante les louanges de ce merveilleux dispositif. On peut les comprendre : c'est l'existence même de ce dispositif qui lui permet de vivre et de développer son activité comme de nombreux autres cabinets de conseil, dont le leader Alma Consulting Group.

 

Un dispositif au succès croissant depuis 2004

 

Le dispositif a été créé en 1983, avec pour objectif d'inciter les entreprises à investir en recherche et en développement ; longtemps, les montants déclarés et rétrocédés au titre du CIR sont restés très limités ; le frein principal était la quasi certitude que l'entreprise déposant une déclaration de CIR serait soumise à un contrôle fiscal à brève échéance. Cela a laissé pendant des années des traces dans l'univers des PME. Il y a une dizaine d'années, j'ai rencontré un chef d'entreprise qui m'a raconté qu'il trainait depuis le début des années 90 un litige avec l'administration fiscale suite à une déclaration de CIR ; naturellement il s'était bien juré de ne plus jamais y recourir.

Depuis des instructions ont été données, des réformes ont été menées en 2004 et en 2008, et peu à peu les entreprises n'ont plus hésité à effectuer des déclarations, le risque de contrôle fiscal s'étant considérablement atténué.

Les montants versés au titre du CIR qui plafonnaient jusque là autour de 500 millions d'€, ont commencé à décoller en 2004 (890 millions €) pour monter à 1,8 milliards € en 2007, avec un nouveau saut en 2008 à 4,45 milliards €. Depuis la progression est devenue marginale, les montants se situant à 5,33 milliards € pour 2012. En parallèle le nombre d'entreprises déclarantes a été multiplié par 4, autour de 20 400 en 2012. Cette dynamique semble avoir été stoppée par une recrudescence des contrôles fiscaux qui ont donné lieu à des rectifications qui ont progressé de 33 M€ en 2008 à 271 M€ en 2012. Depuis le nombre d'entreprises déclarantes diminue.

Bien que personne ne le dise, Bercy a sûrement donné des instructions pour que la progression des montants versés soit arrêtée, car ils commençaient à avoir un impact trop important et non prévu sur le budget de l'Etat !

 

Le crédit d'impôt innovation

 

Un nouveau dispositif, le crédit d'impôt innovation (CII) a été créé en 2013 pour les PME ; le taux est de 20% des montants déclarés au lieu de 30% pour le CIR. Présenté comme un élargissement des dispositifs d'aide aux entreprises, il est censé supporter la conception de prototypes ou d’installations pilotes de produits nouveaux. Pour mémoire un projet éligible au CIR doit faire progresser l’état de l’art, c’est à dire les connaissances scientifiques et techniques disponibles au début des travaux. En fait, la frontière entre les 2 crédits d'impôt étant assez floue et sujette à diverses interprétations, il apparait que le CII est un piège qui permet à l'administration fiscale de requalifier le CIR et de réduire le montant versé sans pour autant annuler l'éligibilité.

 

Le débat sur le CIR

 

Périodiquement, un débat nait au sein des politiques, du parlement et du gouvernement : beaucoup considèrent que le CIR provoque un effet d'aubaine et que les entreprises n'investiraient pas plus avec le CIR que sans. D'autres prétendent que l'aide fiscale a bien un effet stimulant.

En réalité, son effet est très probablement structurant depuis le début des années 2000 où l'industrie qui concentre comme dans la plupart des pays, 80% de la recherche privée, a vu sa part du PIB baisser aux alentours de 12/13% alors qu'elle s'est maintenue au-dessus de 20% en Allemagne. En parallèle, la R&D privée a augmenté de 22 Md€ en 2012 à 29 Md€ en 2011 (soit une croissance moyenne de 2,8% par an)

Trois secteurs ont connu un accroissement particulièrement élevé de l'intensité de leur R&D : les produits informatiques, électroniques et optiques, l'industrie automobile et l'industrie pharmaceutique.

Ce qui est certain est que le CIR a pour effet une baisse du coût moyen d'un chercheur en entreprise. Selon l'étude 2015 de l'ANRT (Association Nationale de la Recherche et de la Technologie qui rassemble plus de 300 entreprises privées et acteurs de la recherche publique), si le coût d'un chercheur français avec incitations (CIR et subventions) est de 100, il serait de 135 sans incitations ; aux Etats-Unis il est de 165, en Allemagne de 119, au Japon de 116, en Grande Bretagne, Belgique et Pays-Bas de 114, en Chine de 77, en Espagne de 73 et en Inde de 53 ! En quelque sorte, le CIR permet de ramener le coût d'un chercheur en France à un niveau très compétitif. Il compense en fait un niveau global de charges bien supérieur aux autres pays développés : selon une étude 2015 de PWC, ce niveau global de charges est de 67% en France, 48% dans les pays du G8 et 41% en moyenne dans l'OCDE.

Il semble jouer le même rôle pour le coût des chercheurs que le CICE pour les bas salaires.

Ceci explique notamment les nombreux projets d'implantation de centres de R&D en France, que de nombreuses grandes entreprises internationales maintiennent une grande partie de leurs effectifs de R&D en France (en tous cas très supérieur au poids de la France dans leur chiffre d'affaires global) et une croissance relativement rapide des dépenses de R&D.

 

Mais est-ce bien efficace ?

 

Le CIR comme le CICE reflète l'idéologie interventionniste qui domine la classe politique française et qui est certainement très incrustée à Bercy ; en particulier, la conviction qu'avec l'outil fiscal, on peut modeler les comportements des acteurs économiques – les entreprises comme les individus. Dans le cas du CIR, il s'agit de la croyance que la R&D et l'innovation technologique améliore la compétitivité des enterprises et est à la source de la croissance économique : en baissant le coût des chercheurs, les entreprises vont devenir plus compétitives et vont croître plus vite, entrainant toute l'économie. On est obligé de constater que cette stratégie industrielle qui ne dit pas son nom, est un échec : les dépenses de R&D augmentent à un rythme qu'on aimerait voir transférer à la croissance économique globale du pays. Mais il n'en est rien et l'économie stagne.

 

De nombreux effets contraires

 

En réalité, de nombreux effets contraires viennent limiter l'obtention de bons résultats économiques. Les grandes entreprises maintiennent ou même développent leur R&D en France mais dans le même temps, elles réduisent la production en France ; témoin l'industrie automobile qui a divisé par deux le nombre d'employés dans les usines en 10 ans : les salaires dans les usines sont au-dessus du niveau du CICE (2,5 x SMIC) qui n'a donc aucun effet sur leur compétitivité ; ils subissent de plein fouet un niveau des charges 20 à 30% plus élevé qu'ailleurs. Il en est de même des équipes commerciales notamment export, qui sont pourtant essentielles pour développer les ventes : à quoi sert de créer des produits innovants si les coûts commerciaux sont trop élevés et ne permettent pas d'être présent de manière compétitive sur tous les marchés cibles. 

Le CIR cible particulièrement l'aide aux PME, en se fondant sur la croyance que la croissance économique viendra d'elles. Mais pour elles, un bon spécialiste export coûtera 3 à 4 fois celui d'un chercheur subventionné par le CIR.

On notera au passage qu'il existe des aides à l'export (crédit d'impot export et assurance prospection de la Coface — qui est une aide remboursable), mais ces aides ne contribuent à compenser que les frais liés à l'activité export et les indemnités versées aux VIE (volontaires  internationaux en entreprise) et dans le cas du crédit d'impot, conditionnées par le recrutement d'un commercial et plafonnées à 40k€ ; il en résulte que leur impact est très limité, si nécessaire, la preuve en est qu'elles ne sont pratiquement jamais évoquées dans les débats ou les études. A l'opposé, le CIR n'est pas plafonné et compense directement les charges de personnel en R&D.

 

Un autre effet contraire : afin de se protéger contre les contrôles fiscaux et les rectifications pénalisantes, les PME ont recours aux services de sociétés de conseil qui les aident à préparer des dossiers de justification transmis à l'administration fiscale en réponse aux nombreuses questions posées après chaque déclaration avec demande de "restitution anticipée". Les honoraires de ces sociétés se montent typiquement à 15/20% du CIR, réduisant effectivement le CIR à 24% des charges de R&D après règlement de ces honoraires. C'est ainsi que toute une industrie s'est créée, parasitant le versement du CIR. En parallèle, l'administration fiscale a du recruter et former à grands frais toute une catégorie d'inspecteurs capable d'analyser la grande diversité des dossiers qui lui sont soumis. Le coût pour la collectivité de ces inspecteurs est bien sûr inconnu. Avec la création du CII, les choses ne se sont pas simplifiées.

 

L'inertie intrinsèque du CIR

 

Un dernier effet contraire : les déclarations de CIR sont remises en mai de chaque année avec la liasse fiscale, pour des charges de R&D étalées sur l'année précédente, donc datant en moyenne du 1er juillet de l'année précédente. La restitution s'effectue selon les aléas du contrôle, la disponibilité des contrôleurs et les demandes complémentaires, dans le courant du 4ème trimestre soit environ 16 mois après les dépenses réelles. Il en résulte qu'a minima, l'entreprise a dû avancer la trésorerie correspondante et en conséquence, différer d'autant les investissements ou autres dépenses telles que des recrutements, le lancement de nouveaux projets de R&D ou l'introduction des nouveaux produits issus de la R&D. Pour les ETI et grandes entreprises, l'effet retard est encore plus important puisque le CIR leur est versé 3 ans après chaque déclaration.

 

Le lecteur conviendra que la réduction des charges sur l'ensemble du personnel des entreprises serait une solution a) éliminant les parasites (sociétés de conseil), b) qui rétablirait l'équilibre des coûts avec les investissements commerciaux et de marketing, c) qui aurait un effet immédiat sur la compétitivité des entreprises.

En l'état, le CIR a un effet peu dynamisant et aide difficielement les entreprises françaises qui sont en concurrence avec les entreprises étrangères qui bénéficient d'un financement direct – donc soit préalable soit simultané aux charges de R&D, C'est le cas des entreprises espagnoles, allemandes ou américaines. Ce dernier facteur est sans aucun doute le plus important et explique en grande partie le faible impact du CIR sur la croissance.

Comme l'indique une étude récente du BCG sur les 50 entreprises les plus innovantes au Monde, la vitesse à laquelle les innovations sont mises en place et lancées sur le marché est un facteur incontournable de leur réussite. Dans ce classement, Apple et Google caracolent en tête, avec une vitesse d'exécution des innovations inégalée. Les seules entreprises francaises du lot sont Axa et Renault (qui bénéficie largement de son partenariat avec Nissan). Avec la lenteur et les aléas de la restitution du CIR, on peut affirmer que si les innovations issues de la R&D des entreprises débouchent sur une réussite commerciale, ce ne sera pas grâce au CIR.

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