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31 juillet 2010 6 31 /07 /juillet /2010 07:34

Ces dernières semaines, le groupe d'équipement aéronautique Safran est revenu à la charge pour essayer de convaincre Zodiac Aerospace de fusionner avec lui. Une fois de plus, Zodiac lui a opposé une fin de non recevoir, par un vote unanime de son conseil de surveillance, puis à nouveau par des entretiens et des déclarations dans les médias.

 

Quand on regarde la façon dont une belle entreprise comme Sagem a été absorbée par Snecma pour constituer Safran, on peut comprendre la réaction des dirigeants de Zodiac. Il s'agissait vraiment à l'époque, en 2004-2005, du mariage de la carpe et du lapin, arrangé à grand frais par la marieuse étatique.

 

Il est clair que l'idée de fusion entre Safran et Zodiac est pilotée par les gnomes de Bercy comme l'indique un communiqué du Ministère paru le 15 juillet, et sans doute même depuis l'Elysée. Il s'agit bien d'une proposition de nationalisation rampante de Zodiac, arrangée par un gouvernement de droite : un comble ! C'est cela la politique industrielle ? Ne s'agit-il pas à nouveau d'un projet de mariage entre la carpe et le lapin ?

 

En effet, revenons en arrière sur la fusion de Sagem et Snecma en 2004-2005. Sagem fondée en 1924 par un ingénieur des Arts et Métiers de 25 ans, Marcel Môme, s'est illustrée par une histoire échevelée d'innovations et d'inventions. Cela s'étendait du guidage des missiles, des sous-marins atomiques et des avions comme le Concorde ou l'Airbus A300, au télex lancé en 1944, remplacé dans les années 80 par les télécopieurs et les téléphones mobiles avec une place de premier sur le marché français en 2004, et même les radars automatiques le long de nos routes ! Clairement, Sagem avait toutes les qualités et les défauts d'une entreprise française de technologie traditionnelle : une très grande capacité d'innovation qui s'exerçait tous azimuts, une force commerciale puissante en France grâce à des relations fortes avec les grands clients, les entreprises publiques, les administrations et le ministère de la Défense, et malheureusement une présence faible à l'international. Surtout sa position de 1er sur les téléphones mobiles (qui étaient fabriqués en France) paraissait extraordinaire face aux Nokia, Motorola et autres. Ce qui était remarquable également a été le succès rencontré à la fois sur les marchés professionnels et sur les marchés grand public. Malheureusement le décès prématuré en 2001 de Pierre Faurre, gendre de Marcel Môme et DG puis PDG de Sagem depuis 1983, a créé un énorme vide. On peut penser que l'Etat a craint que ce bijou de savoir-faire technologique ne tombe dans de mauvaises mains, a fait pression sur son nouveau dirigeant trop inexpérimenté et les salariés qui détenaient le capital et l'a marié avec une entreprise d'Etat qu'il contrôlait à 100% : Snecma.

 

Sans rentrer dans une analyse détaillée (notamment la téléphonie mobile que Safran a rapidement fait passer à la trappe en la vendant au fonds d'investissement Sofinnova et de nombreuses acquisitions par Safran comme GE Homeland Protection et Motorola Biometry), en 2004, Snecma + Sagem faisaient 9,6 milliards € de ventes avec 302 millions € de bénéfice, et en 2009, les ventes de Safran ont été de 10,5 milliards € avec 376 millions € de bénéfice : compte tenu de l'inflation, il s'agit d'un recul, qu'on peut considérer comme la faillite d'une stratégie de fusion. Et ce qui reste de Sagem au sein de Safran, les divisions Défense et Sécurité, fait moins de 2 milliards € de vente alors que Sagem pesait 3,2 milliards € en 2004. Les marchés grand public ont été totalement abandonnés alors que ce sont eux qui avaient le plus de potentiel de croissante de vente et … d'emplois. Et la culture d'innovation et entrepreneuriale de Sagem a été totalement dissoute. On notera qu'avec 6350 ingénieurs sur 14 000 employés, Sagem était nettement plus rentable que Snecma. C'est une formidable destruction de valeur, dans un domaine, celui des technologies notamment électroniques, où la France n'avait déjà pas de positions fortes. Le résultat, c'est que le bijou de savoir-faire technologique n'est effectivement pas tombé dans de mauvaises mains : « mieux », on l'a fait disparaître.

 

Maintenant, le bras armé de l'Etat, Safran en l'espèce, veut faire subir (sans le savoir) le même sort à Zodiac, un bijou entrepreneurial, que Jean-Louis Gérondeau a su bâtir. Pour mémoire sous sa conduite, Zodiac est passé de 40 millions F de chiffre d'affaires en 1974 à près de 2,5 milliards € et les employés de 525 à plus de 20 000. Zodiac est un ensemble cohérent complétement dédié aux marchés aéronautiques, qui a des positions de leader sur ses niches. Heureusement, Zodiac est détenu par un actionnariat familial qui en contrôle 44%, ce qui le rend sans doute moins manipulable que l'actionnariat de Sagem. On peut espérer que ce groupe d'actionnaires saura rester uni et que la politique ne va pas semer la division entre eux. En effet, Jean-Louis Gérondeau étant récemment décédé, le ciment qui unit les actionnaires de Zodiac est sans doute maintenant moins solide.

 

Les thèses avancées par les dirigeants de Safran sur les synergies et le besoin de rassembler pour être plus fort sur les marchés aéronautiques de l'avenir ne résistent pas 5 minutes à un examen stratégique. La vérité est que Safran avec ses allures de conglomérat plus ou moins cohérent qui a eu pour mission de reprendre successivement une série d'entreprises d'Etat, n'a pas du tout la même culture que Zodiac. La stratégie de Safran ne semble d'ailleurs pas très stabilisée : après les récentes emplettes (GE Homeland Protection et Motorola Biometry) l'objectif du Groupe est parait-il de croître dans le domaine de la Sécurité jusqu'à 20% de ses ventes alors qu'une fusion avec Zodiac aurait l'effet exactement inverse, réduisant le poids de la division Sécurité de 9% actuellement à 7%. Comme à l'accoutumée, dans un groupe public, la stratégie est soumise à de multiples influences notamment politiques et conduit à des décisions destructrices à terme, notamment pour l'emploi.

 

Il est intéressant de noter que, sur la défensive, le Président de Safran déclare qu'il ne s'agit pas d'une fusion « franchouillarde » (franco-française) mais que le groupe résultant aurait plus de 20 000 employés hors de France. En fait, cela viendrait surtout de Zodiac qui n'a pas attendu Safran pour se développer hors de France avec 70% de ses effectifs aux Etats-Unis, en Asie et en Amérique du Sud. Zodiac est clairement une de ces gazelles que le Président de la République appelle de ses voeux et qui est devenue un acteur de poids mondial, avec une solide culture entrepreneuriale. Avec Safran, qui ressemble plutôt à un éléphant qui a du mal à danser, le mariage ne peut être une réussite.

 

Je dis aux dirigeants de Safran, aux gnomes de Bercy et aux conseillers de l'Elysée : laissez Zodiac tranquille, et si les acquisitions vous semblent « utiles », décidez d'abord ce que vous voulez faire de Safran : un équipementier aéronautique ou un conglomérat et allez plutôt voir dans d'autres pays des petites acquisitions ciblées qui renforceront les positions que vous avez déjà. Cela sera meilleur à terme pour la croissance de votre entreprise, celle de l'industrie aéronautique française et en in fine pour l'emploi.

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