La concurrence entre écoles de commerce et de management est toujours plus vive. Pour attirer les meilleurs étudiants, elles s’arrachent les meilleurs professeurs et chercheurs et multiplient les sites pour se rapprocher de la demande de formation et renforcer leur visibilité. Le champ de bataille est désormais mondial. Ainsi l’INSEAD a maintenant 3 campus : Singapour (où se trouve la direction de l’Ecole), Abou Dhabi et Fontainebleau ; l’EMLyon, elle en a 6 : Lyon, Saint-Étienne, Casablanca, Shanghai, Paris, Bhubaneswar ; l’ESSEC en a 4 : Singapour, Rabat, La Défense et Cergy ! Cette débauche d’ouverture de nouveaux sites est assurément très coûteuse.
Comment financer cette course ?
Certaines écoles : HEC et INSEAD, se sont organisées depuis longtemps pour lever des fonds auprès de mécènes, essentiellement les anciens élèves. Cela a démarré dans les années 80 sous l’impulsion des associations de diplômés, qui avaient à l’époque une vision du développement et de l’avenir de leur école. Ils ont su partager cette vision avec les responsables de leur école, ce qui est tout à leur honneur. Ce mouvement a été tout à fait bénéfique pour stimuler l’esprit de corps des diplômés et les rapprocher de leur école ; cela a assurément contribué à propulser et maintenir ces deux écoles dans le peloton de tête des écoles européennes et même mondiales.
On constate que les écoles de commerce françaises qui se positionnent en challenger d’HEC – notamment l’ESSEC et l’EMLyon, et leurs diplômés n’ont pas su se mobiliser aussi tôt. Depuis le début de ce siècle, la pression concurrentielle s’est faite de plus en plus vive et l’importance des financements est apparue de plus en plus évidente. L’ESSEC a annoncé en 2010 un plan stratégique avec pour objectif de lever 150 millions d’euros ; actuellement, elle poursuit le projet campus 2020 qui vise une levée de fonds de 35 millions d’euros. Sur ce budget, 19 millions ont déjà été « consolidés » auprès des collectivités territoriales : subventions du département du Val d’Oise (5 millions €), de la communauté d’agglomération de Cergy (5 millions €), de la région Ile de France (9 millions €). Il reste 16 millions à collecter auprès des alumni, partenaires et étudiants, d’ici fin 2020 !
On notera que la Chambre de Commerce de l’Ile de France dont dépend l’ESSEC n’a pas contribué ; on peut se demander quelle est l’origine des fonds engagés par les collectivités : ressources propres – c’est-à-dire nos impôts, ou des emprunts qu’il faudra rembourser avec le produit des futurs impôts. A priori, ces ressources sont certaines, par contre, compte tenu de la faible dynamique des levées de fonds auprès des alumni, on peut douter que l’objectif de 16 millions soit réalisé avant fin 2020.
Du côté de l’EMLyon, la situation paraît plus compliquée. En effet,les projets de levée de fonds depuis plus de 10 ans n’ont pas donné les résultats escomptés et la gouvernance de l’Ecole a été très perturbée avec une succession de plusieurs DG à brève échéance. Fin 2018, une transformation radicale a été lancée avec la création d’unesociété anonyme holdingpropriétaire de l’Ecole (Early Makers group) : l’EMLyons’est ainsi convertie d’une association sans but lucratif en une structurecapable d’attirer des investisseurs et de leur verser des dividendes. Ce n’est pas le premier institut d’enseignement supérieur français qui aitfranchi ce pas. Mais c’est le premier qui soit dans la classe des instituts d’excellence.
Comme en Ile de France, la Chambre de Commerce de Lyon-Saint Etienne,-Roanne est depuis toujours le parrain et le sponsor des écoles de commerce locales, l’EMLyon étant le leader régional et même national hors Ile de France ; comme en Ile de France, elle se trouve à court de moyens pour soutenir son école fétiche.
De plus, on constate que la communauté des diplômés est nettement moins puissante et motivée que celle de l’ESSEC, d’HEC ou de l’INSEAD. A ce titre, l’EMLyon et l’ADEM - l’association des diplômés ont décidé il y a dix ans d’intégrer tous les services et les permanents de l’association dans une structure interne à l’Ecole (EMLyon forever) : cette décision elle aussi assez radicale ne semble pas – au moins jusqu’à ce jour, avoir renforcé les liens entre les diplômés et leur Ecole.
La faiblesse de ces liens a à l’évidence conduit à la transformation en SA afin de faciliter le recours à des financements autres que les contributions de la communauté des diplômés. Cette décision a certainement fait l’objet de débats internes vifs, dynamiques et même polémiques. Elle semble une sorte de fuite en avant, avec un abandon de plusieurs valeurs propres à la communauté EMLyon : le reserrement des liens entre l’Ecole et les diplômés, l’indépendance de l’Ecole et les liens forts avec les entreprises. L’ADEM qui n’est plus qu’une coquille vide depuis dix ans, n’en sort pas non plus renforcée.
Au lieu du mécénat proposé aux diplômés et à leurs entreprises, pour financer les projets et le développement de l’Ecole, il s’agit maintenant d’augmentations de capital avec une espérance plus ou moins justifiée de percevoir des dividendes.
Tout naturellement, en juin 2019, la prise de participation par deux investisseurs notoires a été annoncée : Qualium Investissement et Bpifrance. Ces deux acteurs s’engageraient à apporter progressivement 100 millions € sur 5 ans en capital. Dans sa communication, la CCI prétend qu’elle accueille un investisseur institutionnel et un investisseur privé. En fait, ces deux investisseurs ont des liens très étroits : BPI est une filiale de la Caisse des Dépôts et Qualium est un fonds filiale de la Caisse des Dépôts. Leurs liens avec l’État et le pouvoir politique sont également évidents, ces organisations apparaissant de plus en plus comme les différentes facettes d’un fonds souverain à la botte des politiques publiques. Avec cette transformation et cette prise de participation, il s’agit purement et simplement de l’étatisation rampante de l’EMLyon. Cela ne poserait pas de problème si ces investisseurs étaient les plus qualifiés du monde pour accompagner un établissement d’enseignement supérieur de classe mondiale. Mes lecteurs apprécieront. L’annonce de juin 2019 indique que le capital sera ouvert aux salariés de l’Ecole et aux diplômés (avec des attentes pleines d’interrogation).
Compte tenu des caractéristiques de la nouvelle situation, je doute sincèrement que les diplômés fassent montre d’un enthousiasme débridé pour investir, d’autant plus qu’ils seraient ultra minoritaires au capital.
Alors que faire ?
Plus que jamais, le mécénat apparaît comme le mode de financement de l’enseignement supérieur qui soit le plus vertueux et le plus efficace sur le long terme.
Sur ce plan, les velléités actuelles de nos gouvernants de réduire les avantages liés au mécénat sont de mauvais augure : d’un côté on démotive l’engagement des diplômés et des entreprises à contribuer au développement de leur école. D’autre part en catimini, on va financer des écoles comme l’EMLyon avec l’argent public.