A la source des hydroliennes fluviales
Les moulins à eau sont leurs ancêtres : installés au fil de l'eau des rivières, ils ont toujours eu le grand avantage de fonctionner sans arrêt et de produire une énergie bon marché, bien avant l'émergence des machines à vapeur et autres moteurs thermiques. Nommés moteurs hydrauliques quand ils sont utilisés pour d’autres applications que moudre le grain ou extraire les huiles, ils ont servi notamment au travail du bois et des métaux, et au tissage.
Depuis le 19ème siècle, les premiers dérivés de ces moulins ont été les centrales hydrauliques : ces dernières exigent des investissements importants, une installation fixe et souvent la mise en place d'une retenue pour générer une chute d'eau et un réservoir afin de lisser les variations de débit et de permettre une production aux périodes utiles. Mais pour être efficaces et rentables, ces centrales ont été d'abord installées sur des sites à fort potentiel, pour que la production d'électricité obtenue soit en rapport avec le coût élevé de la construction. Ces centrales sont d'autant plus intéressantes qu'elles permettent l'irrigation des terres en aval et la protection contre les inondations. La centrale de Serre-Ponçon dans les Alpes du Sud en est un exemple remarquable.
Dans de nombreux pays comme la France, tous les sites majeurs ont été ainsi équipés en centrales hydrauliques. L'attention se porte maintenant sur d'autres possibilités offertes par l'énergie des rivières et des fleuves : les centrales combinant production et pompage, les mini-centrales sur les petits cours d'eau et depuis peu les hydroliennes fluviales, au fil de l'eau.
A la source des hydroliennes marines
En parallèle, dans la lignée des moulins à marée de tradition séculaire, l'idée de centrale marémotrice a suscité un intérêt remarquable. On a ainsi construit la centrale de la Rance en 1966 (puissance 240MW), la centrale d'Annapolis Royal près de la baie de Fundy au Canada en 1984 (20MW), la centrale de Sihwa Lake, en Corée du Sud en 2011 (254MW). Mais ces constructions ont provoqué des dégâts environnementaux considérables et des modifications majeures des écosystèmes. Deux éléments sont également en leur défaveur : le nombre très limité dans le Monde de sites à potentiel important et leur semi intermittence – bien que les heures de marée soient parfaitement connues et prédictibles, ces centrales ne produisent de l’électricité qu’une quinzaine d’heures par jour. Il en a résulté que bien d’autres projets plus importants et potentiellement plus rentables, n’ont jamais débouché ; il en est ainsi de celui de la baie d'Incheon (Corée, puissance prévue de 1320 MW), de la baie du Mont St Michel (barrage de 40km et 800 turbines soit environ 24 GW), de la baie de Swansea près de Cardiff – projet qui est encore en débat actuellement au Royaume-Uni (projet gigantesque de Tidal Power jusqu’à 25 GW).
Actuellement, seuls des projets d'hydroliennes marines restent d’actualité et sont poursuivis, leur empreinte écologique étant bien plus limitée. Ces hydroliennes sont en effet simplement posées et ancrées au fond de la mer et n’entrainent que peu de modifications de l’environnement.
Les tribulations récentes des hydroliennes
Plusieurs startups se sont lancées dans l’invention et le développement d’hydroliennes fluviales. En France, HydroQuest fondée en 2010 près de Grenoble par un ingénieur de Centrale Marseille, Jean-François Simon a réalisé une hydrolienne de petite puissance – 40 kW qu’elle a expérimentée pendant 4 ans sur la Loire, à Orleans de 2014 à 2018 et qui a été raccordée avec succès au réseau en 2015.
Presque simultanément, Bertin Technologies a installé son hydrolienne à axe vertical de 18kW Urabaila dans les eaux de l'Amour près de Bayonne et une startup : Ecocinetic a installé des petites hydroliennes de 4kW contre une pile de pont à Chatellerault.
En mer, en 2014, OpenHydro, startup irlandaise que Naval Energies filiale de DCNS a racheté pour son apport technique et de savoir faire, installe deux hydroliennes de 16 mètres de diamètre sur le site expérimental de Paimpol-Bréhat et en novembre 2015, Sabella, en partenariat avec Engie, immerge sa machine D10 de 1,2MW au large d'Ouessant.
Après de longs essais, ces machines ne réussissent pas à produire de l'électricité et sont sorties de l'eau suite à des problèmes de corrosion.
Il est alors projeté d'installer des hydroliennes dans le Raz Blanchard, face au Cotentin, où les courants sont plus forts et plus réguliers. En 2013, le président François Hollande donne le coup d’envoi de la construction d’une usine DCNS d’assemblage d’hydroliennes à Cherbourg. En 2017, l’État donne le feu vert à Naval Energies (filiale à 60 % de DCNS devenu Naval Group et 34 % du fonds SPI de Bpifrance ) et EDF pour l’installation de 7 hydroliennes de 16 mètres de diamètre dans le raz Blanchard. Et le 25 juillet 2018, le PDG de Naval Group annonce l’arrêt du projet, invoquant un manque de perspectives sur le marché de l'hydrolien. Il s’agit en fait de l’incapacité de Naval Energies de financer seul les investissements nécessaires, notamment l’absence de soutien fort de la part de l’Ademe. On notera au passage que Bpifrance n’a pas soutenu les projets de Naval Energies. Et OpenHydro a été mise en redressement judiciaire.
C’est un beau gâchis qui donne envie une fois de plus de dire à l’État et aux politiques : ne vous mélez pas de projets industriels et convertissez la Bpi en un investisseur indépendant, qui ne serait pas à la merci des décisions aléatoires de l’État, soumises aux contraintes politiques.
Pendant ce temps, HydroQuest poursuit son chemin en signant un accord avec les Constructions Mécaniques de Normandie (CMN) avec une prise de participation de 10 % de son capital en octobre 2014. CMN apporte des capacités importantes de construction mécanique, tout en bénéficiant des technologies développées par HydroQuest.
C’est ainsi que les partenaires développent à partir de 2016 une hydrolienne marine HydroQuest Ocean d’une puissance de 1MW, et l’immergent sur le site d’essais de Paimpol-Bréhat en avril 2019. Les premiers essais de production d’électricité ont eu lieu le 6 juin 2019. Ses caractéristiques techniques semblent performantes, avec une technologie unique à deux axes verticaux, et des génératrices d’électricité hors du flux productif, un fonctionnement bidirectionnel et une faible sensibilité à l’orientation du courant.
Quel avenir pour les hydroliennes ?
Les concurrents d’HydroQuest – Bertin, Ecocinetic, Sabella, Naval Energies, ont probablement jeté l’éponge et renoncé à poursuivre le développement d’hydroliennes. Le principal obstacle est le peu d’encouragements venant de l’État et des acteurs publics, et son corollaire, les difficultés pour décrocher des financements publics, les investisseurs privés ne paraissant pas du tout intéressés par cette technologie.
On peut les comprendre, après de nombreux efforts, le coût du MWh est encore très élevé autour de 300 € et la mise au point de machines fiables sur une longue durée reste aléatoire.
Un coup d'oeil à l'étranger ne permet pas d'identifier d'autres acteurs qui progressent vraiment dans cette technologie. On notera par exemple une société américaine Verdant qui se débat depuis plusieurs années pour installer une machine d'essai de 5ème génération sur l'East River à New York. De nouveaux essais auront lieu en 2020 !
Mais HydroQuest Ocean semble donner satisfaction à Paimpol-Bréhat et HydroQuest poursuit sa route, son dirigeant hyperactif faisant feu de tous bois pour promouvoir sa technologie, intervenant dans des congrès, agissant auprès des politiques tant en France qu’à l’international.
Aux dernières nouvelles, un nouveau projet franco-britannique TIGER a décroché en octobre 2019, un financement européen de 46,8 millions € avec 28 millions € venant d’un fonds européen FEDER. Il vise l’installation en Manche de 8 MW et une réduction du coût du MWh à 150 € en 2025.
On ne peut que souhaiter sa réussite