Selon une très grande majorité d'analystes, la réussite de l'Allemagne sur les marchés export repose sur la force et le
nombre de ses entreprises de taille intermédiaire, appelées le Mittelstand. Mais les avis sont très partagés sur la possibilité de transposer ce « modèle » en France. Certains diront qu'il s'agit
d'un phénomène dû à l'environnement culturel et politique propre à l'Allemagne, en déduisant bien sûr qu'il n'est pas transposable. Mais est-ce bien sûr ?
Selon une étude récente du Conseil d'Analyse Economique Franco-Allemand, la France souffre d'un grave déficit
d'entreprises de taille moyenne, entre 250 et 3000 salariés, que l'on a nommées ETI, enetreprises de taille intermédiaire. Ce qui fait surtout défaut, ce sont des entreprises intermédiaires,
technologiques et exportatrices, spécialisées sur leur créneau de produit-marché où elles peuvent disposer d'un leadership mondial.
Souvent, j'ai personnellement constaté que, dans un domaine donné où une PME française est l'unique industriel fabricant
en France et quelquefois leader sur son marché domestique, il existe un concurrent allemand, cinq à dix plus important, ayant des filiales dans plusieurs pays clés et détenant un leadership
mondial. Dans d'autres cas, il s'agit de deux ou trois concurrents allemands toujours deux à cinq fois plus grosse que la PME française, et qui se partagent le leadership.
A juste titre, les auteurs de l'étude indiquent que l'entreprise grandit parce qu'elle est compétitive, parce qu'elle est
tournée vers les marchés internationaux. Il est certain aussi que si on arrive à concevoir des produits ciblés, adaptés pour ces marchés, et compétitifs en prix, le volume tiré de ce potentiel
conduit à une amélioration de la compétitivité. La compétitivité précède la croissance à l'export qui elle-même permet à l'entreprise de grossir. Et ce n'est sûrement pas avec des subventions,
que ce type de croissance se produit.
Comment favoriser l'épanouissement de cet environnement de compétitivité en France ? Au préalable, on peut affirmer que
cela demandera un effort continu sur le moyen et le long terme, avec la mise en place de politiques stables et cohérentes.
Les auteurs de l'étude avancent les recommandations suivantes :
- faciliter par une politique fiscale adaptée la transmission d'entreprise familiale,
- investir en innovation tant dans le domaine de la R&D que dans les autres secteurs de l'entreprise,
- développer les réseaux de coopération, de partenariats et d'échanges entre entreprises.
En filigrane, l'on aperçoit les trois problématiques principales : la transmission des entreprises, l'investissement et
les réseaux.
La transmission
La transmission est une question absolument majeure à mon sens ; on constate que beaucoup de PME avec un potentiel de
croissance, disparaissent en France soit par absorption par un grand groupe français soit par un groupe étranger ; je citerai les exemples récents de Business Objects rachetée par SAP (une
entreprise allemande qui tient tête aux américains dominants en logiciel), Price Minister racheté par Rakuten (un leader japonais en commerce électronique). L'alternative à la vente à un groupe,
est souvent le rachat à la famille fondatrice par un fonds d'investissement qui va faire naviguer l'entreprise de LBO primaire en LBO secondaire puis tertiaire ..., jusqu'au moment où la
mécanique se met à dérailler faute d'investissement de long terme et en particulier de développement international. Les fonds ont beau nous raconter que l'investissement est leur priorité : c'est
une belle histoire pour les cédants, les salariés et les souscripteurs du fonds. En réalité, l'objectif est de maximiser la rentabilité de court terme, le remboursement de la dette d'acquisition
et in fine, le prix de revente à un autre fonds. On ne peut pas faire cela et investir résolument pour le long terme : les ressources de l'entreprise sont par essence limitées et des choix
doivent être faits.
A contrario, de très nombreuses entreprises moyennes allemandes sont plus que centenaires, plusieurs générations s'étant
succédées à leur tête. C'est un des secrets de leur force : une culture entrepreneuriale solide se transmettant de génération en génération, un engagement de long terme de la part d'actionnaires
qui n'ont pour objectif que le développement de l'entreprise.
Dans un domaine que je connais bien qui est celui de l'instrumentation et de la mesure, j'ai pu assister dans les 30
dernières années à une véritable désertification du tissu industriel français, à la disparition d'entreprises anciennes, faute de transmission familiale. En parallèle, les entreprises allemandes
du secteur ont poursuivi leur route, avec ténacité et réussite.
Comment favoriser la transmission : cela peut se résumer en une simple phrase, en simplifiant la vie des entrepreneurs.
En effet, pourquoi si peu d'entrepreneurs transmettent à leurs enfants ? parce que, de nombreux enfants voient les difficultés que leurs parents ont à surmonter en étant entrepreneurs : la
complexité du code du travail, l'agressivité de l'administration fiscale, les difficultés de trésorerie causées par les grands clients et l'Etat qui règlent les factures avec des délais
indécents, les seuils (plus de 10, 20, 50 salariés) qui augmentent mécaniquement les coûts et la complexité de la gestion. Par rapport à l'Allemagne et le Royaume-Uni, les entreprises françaises,
italiennes et espagnoles interrogées lors d'une étude du cabinet Ernst & Young et ESCP sur les entreprises européennes d'exception, disent souffrir d’un manque de reconnaissance et d’un
environnement réglementaire et culturel défavorable. Il en résulte que trop souvent, les enfants n'ont pas envie de reprendre l'entreprise des parents.
L'investissement
L'investissement est une autre clef du développement des PME et ETI. En fait, ces dernières possèdent des fonds propres
bien plus faibles que les entreprises moyennes allemandes qui elles ont des ressources suffisantes pour financer en interne leur fonds de roulement et leur croissance. Les entreprises françaises
sont souvent obligées d'avoir recours à des artifices couteux comme l'affacturage et le Dailly qui leur permet de garder la tête hors de l'eau mais non de dynamiser leur croissance. La meilleure
décision qui a été prise récemment en France est de rendre obligatoire des délais de règlement de 60 jours au maximum. Mais cela n'empêche pas certains groupes du CAC40 de continuer de discuter
le paiement des factures avec leurs fournisseurs, afin d'allonger les délais.
Les politiques nous rabattent les oreilles avec la nécessité de renforcer les fonds propres des entreprises mais en même
temps l'on laisse faire Bâle III et Solvabilité II qui conduisent les banques et les assureurs à se retirer de l'investissement dans les entreprises : qui va les remplacer ? On se refuse toujours
à envisager la création de fonds de pension qui seraient un moyen idéal d'investissement de long terme et on continue de laisser l'assurance-vie drainer une grande partie de l'épargne française.
Mais cette dernière qui souscrit pour une large part aux obligations d'Etat, sert ainsi à financer le déficit de l'Etat : c'est probablement plus important que d'orienter l'épargne vers le
financement des PME et ETI ! La loi TEPA a eu un effet pervers sur le capital-risque et les business angels qui ont été amenés à investir dans des projets de jeune pousse douteux pour éviter de
payer l'ISF et n'a pas permis de contribuer au renforcement des fonds propres des entreprises de taille moyenne. La dernière invention qui va à contre-courant du renforcement des fonds propres
des entreprises est cette obligation de verser une prime aux salariés quand les dividendes augmentent. Ce « double langage » des politiques est pour le moins extrêmement démotivant pour
les entrepreneurs.
Les réseaux
On cite souvent la capacité que possèdent les entreprises allemandes de poursuivre des partenariats, de s'associer, de
« chasser en meute » à l'international. Cela n'était pas dans les habitudes des patrons français de PME et ETI. Cela est me semble-t-il, en train de changer. Des initiatives telles que
les pôles de compétitivité, les PCRD européens, les instituts Carnot contribuent à favoriser la coopération entre entreprises.
Les pôles de compétitivité sont notamment un bel exemple de coopérations multiples entre entreprises de tailles diverses,
dans leur domaine et ceci sans que l'Etat intervienne directement. Les entreprises échafaudent des projets ensemble et apprennent à partager leur savoir.
Les instituts Carnot, dont on ne fait pas suffisamment la promotion, sont un autre exemple de coopération cette fois-ci
entre la R&D publique – celle des universités et des écoles, et les entreprises avec la bienveillance de l'Etat qui abonde le coût des travaux à hauteur de 30%.
Les PCRD européens, Programmes-cadre pour la recherche et le développement technologique, appelés aussi Programmes-cadre
ou en abrégé FP, sont des programmes de financement impliquant nécessairement des partenaires de pays différents (3 au minimum). Se lancer dans un tel programme conduit à mettre en place des
partenariats avec d'autres entreprises en Europe. De nombreuses PME françaises se sont déjà lancées dans cette voie et peut-être tireront finalement plus de bénéfice du fait d'avoir amorcé des
partenariats plutôt que du financement lui-même accordé par l'UE.
On voit que, pour se rapprocher du modèle « Mittelstand », la France a beaucoup de chemin à parcourir, le plus
complexe et difficile étant l'évolution des modes de transmission et de pérennisation des entreprises. Là où l'Etat peut et doit se concentrer, c'est l'investissement ; avec la taux d'épargne
actuels des français, cela ne devrait pas poser de problème si le « double langage » pouvait cesser. Je me veux optimiste, bien que les statistiques récentes montrent que les Français
s'éloignent de la Bourse comme jamais.