Nous entrons dans une période importante pour le millefeuille français – l'accumulation unique au monde de collectivités locales superposées : la préparation des élections municipales de 2014, qui vont figer pour 6 ans l'exécutif de nos chères communes qui parsèment le pays.
Il est bon de se rappeler qu'avec ses 36 700 communes, la France peut se glorifier d'avoir autant de communes que tout le reste de l'Europe réuni. Comme toujours, seuls contre tous les autres pays, nous avons de bonnes raisons de maintenir cet état de fait et personne, d'un quelconque bord politique n'ose le remettre en question.
Pour mémoire, au-dessus de ces fameuses communes, il y a toutes sortes de structures que les gouvernements successifs ont eu un plaisir évident à empiler, sans jamais en supprimer une seule :
canton, communautés de communes, d'agglomération ou urbaine (qui notons-le, ont le droit de prélever l'impôt), pays, arrondissement, département, région et le dernier né en 2010 : métropole. Il y a même des personnes bien intentionnées pour évoquer des super-régions, au prétexte que les régions seraient trop petites. A l'échelle de l'Europe, il faut bien évidemment ajouter la dernière couche : la nation française. On se dira que la France est sûrement bien assez riche pour se payer toutes ces structures administratives et bénéficier des coûts et de l'inefficacité qui en résultent.
Plusieurs fois, le même mécanisme pervers a fonctionné : nos politiques se sont d'abord rendus compte que de nombreuses communes étaient trop petites et qu'il fallait les regrouper pour certains projets comme le traitement des eaux usées ; d'où la création des communautés, sans que les communes ni les cantons ne soient remises en question. Dès les années 1960, on a pris conscience que la centralisation parisienne à la fois jacobine et napoléonienne devait faire place à une « décentralisation » qui redonne l'initiative aux provinces ; les départements qui étaient adaptés à l'époque de la Révolution, se sont aussi avérés trop petits, notamment pour les projets de développement économique. On a créé les régions en se refusant de modifier les départements et les arrondissements.
Une vallée qui m'est chère, l'Ubaye, témoigne des difficultés et des dérives auxquelles conduit cet assemblage de couches.
Depuis la Révolution, la vallée est divisée en 2 cantons inégaux : celui de Barcelonnette (près de 7000 habitants) et celui du Lauzet (à peine plus de 1200 habitants). Une communauté de communes a été créée en 1993, la « Vallée de l'Ubaye » (CCVU), regroupant 14 communes issues des deux cantons, n'en faisant pas partie La Bréole et St Vincent les Forts qui regardent plutôt le lac de Serre-Ponçon. Elle s'est installée dans une des plus grandes maisons mexicaines de Barcelonnette (réputées inchauffables) et occupe 25 employés dont de nombreux agents administratifs plus une dizaine de saisonniers.
Et en 2005, grâce à une nouvelle loi, on a rajouté un Pays « S.U.D. » (Serre-Ponçon-Ubaye-Durance) qui rassemble les quatre communautés de communes de la Vallée de l'Ubaye, Embrunois, Savinois-Serre-Ponçon, Ubaye-Serre-Ponçon (= La Bréole et St Vincent les Forts !), en tout 31 communes. Ce Pays affiche une mission de développement du territoire qui se trouve à la fois en Hautes-Alpes et Alpes de Haute-Provence et occupe 10 employés.
Voilà donc notre CCVU, un peu bancale, qui constitue son conseil de 30 délégués élus par chaque conseil municipal, avec 2 délégués pour chaque commune sauf Barcelonnette qui en a 4 et qui possède donc 13% des voix au conseil avec 40% de la population. Est-ce que cela a un sens ? Le problème est que ce conseil a le droit de fixer et de lever des impôts locaux pour ses projets favoris, et cela avec la gouvernance la plus douteuse et peu de comptes à rendre devant les électeurs. Le conseil est en effet issu d'un processus compliqué à deux étages que, j'en suis certain, peu de valleyants comprennent, et représente les électeurs d'une manière totalement déséquilibrée. Certaines communes qui n'ont que 70 habitants ont ainsi autant de poids que Jauziers qui en a plus de mille. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que, la composition de cette assemblée favorisant la minorité des petites communes, elle soit présidée depuis toujours par le maire inamovible du Lauzet (234 habitants).
C'est ainsi qu'après les élections de 2008, convaincu que l'avenir de la vallée réside dans le développement du ski alpin, le conseil de la CCVU a décidé d'engager la quasi totalité de ses investissements dans l'« amélioration » des remontées mécaniques de 3 stations : Praloup, Le Sauze et Ste Anne. Ce conseil devrait pourtant savoir qu'avec l'évolution du climat et les aléas des chutes de neige dans les Alpes du Sud, ces stations ont très sûrement atteint leur plateau, avec peu de potentiel de croissance. Une saison de ski courte de janvier à mars et il est bien difficile de rentabiliser ces équipements. Cette situation n'est pas nouvelle, la preuve : les faillites successives des opérateurs de la station de Praloup. Plus aucun opérateur ne s'y intéressant, c'est le conseil général qui l'a actuellement en régie. De même, au Sauze, la CCVU a voulu absolument imposer son projet de télésiège et a finalement évincé la société locale qui avait su gérer la station pendant des dizaines d'année pour la prendre fièrement en gestion et sauver, parait-il, les emplois. Pas de problème : nos impôts combleront les déficits.
La ville de Barcelonnette a vainement contesté en justice cette décision d'investissement qui laissait de côté d'autres projets plus porteurs de développement. Espérons qu'en 2014, de nouveaux projets émergeront, avec une vrai vision pour l'avenir et qui bénéficiront à tous les valleyants !
Une nouvelle gouvernance en 2014
Cette gouvernance aberrante et irresponsable a été perturbée par une nouvelle loi du 16 décembre 2010 qui prévoit que le nombre de délégués de chaque commune serait proportionnel au nombre d'habitants avec toutefois un minimum d'un délégué par commune. Catastrophe pour les amis du maire du Lauzet : Barcelonnette aurait 10 délégués, Jauziers 4, St Pons et Uvernet (Praloup) 2 et les autres communes un, soit un total de 28. Comme la loi le permet curieusement, notre assemblée hautement démocratique a fait une proposition faisant passer le nombre de délégués à 32 et corrigeant leur répartition en fonction du produit fiscal des résidences secondaires. Cette proposition va être soumise au vote des conseils municipaux d'ici le fin août. Que va t'il en sortir ?
On peut espérer que cette proposition pour le moins curieuse ne passe pas : cela reviendrait à admettre que la représentation dans ce type d'assemblée pourrait être proportionnelle aux impôts levés dans chaque commune ! Imaginons un instant par exemple qu'à Paris, les arrondissements payant le plus d'impôts aient plus de représentants au conseil municipal. Cette idée baroque a un parfum prononcé d'inconstitutionnalité.
La dérive des comptes de la CCVU : dette = + 236% en 5 ans
On observera que la CCVU ayant la possibilité de lever des impôts, ne s'en prive pas : en 2012, ils se sont élevés à 3,7 millions € soit 493 € par habitant. Dans le même temps, les impôts locaux de Barcelonnette étaient de 616 € par habitant.
Coup de grâce qui montre l'échec de la gouvernance prétenduement solidaire de la CCVU (selon le maire du Lauzet dans sa feuille semestrielle) : de 2008 à 2012, la dette de la CCVU a augmenté de 6,2 millions € à 21 millions € soit +236% en 5 ans et les impôts locaux par habitant perçus par la CCVU ont augmenté de 46%. Je suis certain que les délégués des villages qui ont eu le pouvoir, n'hésiteront pas à s'en vanter devant leurs électeurs l'année prochaine.
Dans le même temps, la dette de Barcelonnette s'est maintenue à hauteur d'environ 6 millions € (+ 7,6% en 5 ans), malgré le coût important du nouveau golf qui n'a pas bénéficié des ressources pour le moins hasardeuses, prévues par la précédente municipalité (vente de terrain pour un complexe hôtelier). Les impôts locaux ont tout de même augmenté de 13% par habitant en 5 ans.
A quand la fusion des toutes les communes de l'Ubaye ?
La disproportion entre Barcelonnette et les autres communes de la vallée est telle qu'une fusion apparaît comme la seule solution raisonnable, efficace et porteuse d'avenir pour la vallée. Toutes les petites communes dépendent de Barcelonnette qui offre une palette complète de services et de commerces et dont elles bénéficient. Il s'agit de permettre à Barcelonnette d'investir pour que toute la vallée en profite. Avec le système actuel, il semble que tout est en place pour la priver de moyens et favoriser des projets sans beaucoup d'avenir.
Un chemin vers une nouvelle organisation territoriale
A l'évidence, la loi de 2010 ouvre la voie vers une nouvelle organisation : rendant obligatoire l'établissement de communautés pour toutes les communes et les incitant à fusionner, le futur échelon de base devrait être des communes résultant de la fusion des membres des communautés. Les Pays, cantons, arrondissements et départements devraient disparaître et laisser la place aux seules régions. Il s'agira alors de remodeler le paysage des régions en fusionnant par exemple la Haute et la Basse Normandie, peut-être la Picardie avec Nord Pas de Calais, Bourgogne avec Champagne-Ardennes. Que l'on n'ait pas encouragé suffisamment le Bas et le Haut Rhin à fusionner au début de 2013, est toutefois un peu inquiétant ; que le gouvernement actuel se ressaisisse et fasse preuve de courage et de vision, que diable !
Une telle organisation sera plus efficace, conduira certainement à la suppression de doublons et à une meilleure utilisation des fonds publics.