Le mois dernier, Xerox a annoncé l'acquisition d'Impika. Qui est Impika me direz-vous ?
Créée en 2003 à Aubagne, près de Marseille, par une équipe issue de Gemplus (devenue Gemalto après fusion avec l'ancienne division cartes à puces de Schlumberger), Impika a toutes les caractéristiques d'une gazelle, dont nos politiques appellent la multiplication de leurs voeux depuis quelque temps ; elle possède une technologie de pointe dans l'impression numérique à jet d'encre à grande vitesse (375 m/minute), qui permet le dépôt rapide et sans bavure de microgouttes sur tout type de supports : papier, verre, plastique, tissus, carrelage, bois, etc. ; cette technologie est protégée par une quinzaine de brevets, le marché potentiel est, selon le dirigeant fondateur Paul Morgavi, de plusieurs dizaines de milliards d'euros ; une application phare est le remplissage à grande vitesse d'imprimés à données variables : passeports, feuilles d'impôt, relevés bancaires et téléphoniques, adressage marketing.
Avec un effectif de 55 personnes, son chiffre d'affaires 2012 a été de 16,6 millions € dont 80% à l'export.
Donc, un potentiel de croissance important, une technologie de pointe en avance sur les leaders de l'impression numérique (Xerox, Canon, HP, Ricoh), une présence déjà significative à l'international, une taille déjà respectable, c'est certain, une gazelle en puissance !
Mais ce n'est plus une gazelle, car elle vient de perdre son indépendance. Naturellement, on nous gave de promesses : l'usine d'Aubagne va doubler de taille, les effectifs vont passer de 55 à 80 personnes ; désormais filiale de Xerox, elle va pouvoir pénétrer de nouveaux clients ; avec plus de moyens, le développement va être plus rapide ; Paul Morgavi va rester à la tête de l'entreprise. Enfin de quoi endormir nos bureaucrates du ministère du redressement productif.
On notera que, lors de deux tours de table en 2005 et 2007, Siparex, Turenne Capital et Xange ont apporté 8 millions d'euros de fonds propres qui ont permis à Impika d'industrialiser sa technologie et de faire décoller ses ventes. Naturellement, ces trois acteurs étant des gestionnaires de fonds d'investissement de type FIP, FCPI, FCPR, ils doivent rendre l'argent investie aux souscripteurs après 6 à 8 ans ; donc vendre leur participation à Xerox a sûrement été très attractif, en particulier pour compenser les pertes sur d'autres dossiers. On peut penser que le FSI n'a même pas été consulté, de toutes façons, il n'aurait sûrement pas eu les moyens de se mesurer avec Xerox. Au passage, il faut bien aussi se dire que Xange est une filiale de la Banque Postale, détenue par l'Etat !
A l'évidence, la stratégie d'Impika ne va plus être décidée à Aubagne mais à Norwalk (Connecticut), au siège de Xerox.
Paul Morgavi va dépendre de Jeff Jacobson, président de Xerox’s Graphic Communications Operations mais qui n'est qu'un vice-président parmi une quarantaine d'autres dans un groupe de 160 000 employés et 23 milliards $. Xerox a développé une technologie similaire mais complémentaire, d'impression à jet d'encre à base de résine (sans eau), à grande vitesse (150 m/minute), protégée par 3000 brevets (à comparer aux 15 brevets d'Impika !) : le système CiPress™ 500 lancé en 2011. Les laboratoires de recherche sont situés à Wilsonville (Oregon), à Toronto et à Webster (New York). Xerox s'appuie sur des études qui prévoient que le marché de l'imprimerie de production à jet d'encre va croître de 21% par an jusqu'en 2015 !
L'acquisition d'Impika permet, selon Xerox, d'offrir à ses clients la gamme la plus complète de systèmes d'impression numérique.
Que va t'il se passer, si le marché pour les systèmes d'Impika décolle vraiment ? Xerox va t'il continuer d'investir en R&D et en production à Aubagne ? Le centre de décision est parti et avec lui, la perspective des marchés et la façon de concevoir l'avenir. Impika va clairement être absorbée rapidement dans la grande organisation de Xerox. Elle arrive au moment où il faut pour Xerox, avec des produits industrialisés qui peuvent être pris en charge par l'organisation commerciale de Xerox. L'organisation commerciale bâtie par Impika n'a sans doute plus lieu d'exister par elle-même et va être absorbée.
Voilà donc où va partir l'innovation et la R&D tant vantée par nos politiques pour assurer le développement de notre industrie et la croissance de l'économie !
Vous me direz peut-être : quelle autre possibilité avait l'équipe dirigeante d'Impika pour mener le développement de l'entreprise ? Eh bien, il existe une histoire similaire qui a très heureusement débouché vers un leader mondial dont le siège est toujours en France, avec des ventes de 2 milliards d'euros. Il s'agit de Dassault Systèmes qui pendant longtemps, s'est appuyée sur le réseau mondial d'IBM pour commercialiser ses produits. Grâce à cet arrangement, pendant des années, Dassault Systèmes n'a pas eu besoin de construire un réseau commercial important – ce qui extrêmement coûteux, et a pu investir en développement et prendre un leadership technologique incontestable sur son marché.
Lorsque Impika a été approchée il y a 2 ans par Xerox pour commercialiser ses systèmes d'impression, pourquoi ses dirigeants ne se sont-ils pas inspirés de la stratégie mise en oeuvre par Dassault Systèmes il y a 30 ans ? La réponse réside probablement dans la volonté entrepreneuriale et de poursuite d'une vision stratégique qui existe chez Dassault Systèmes et non chez Impika. Si la volonté avait été présente, je suis certain que les dirigeants auraient trouvé une solution pour la reprise des participations des fonds d'investissement et auraient pu poursuivre le développement de leur gazelle.