Annoncée il y a 6 ans, la levée de fonds d'Areva serait selon la presse – notamment Les Echos, dans dans la dernière ligne droite : après un processus long et particulièrement opaque, constitué en particulier de lobbyings intenses dans les couloirs ministériels et élyséens, les offres des fonds souverains du Quatar et du Koweït et du constructeur japonais de centrales nucléaires Mitsubishi Heavy Industries seraient à l'étude. L'on parle aussi d'une augmentation de la part détenue par EDF qui possède déjà 2,4% du capital.
Du côté des fonds souverains, il semble que la participation à l'augmentation de capital soit une composante importante de la stratégie commerciale d'Areva (mais probablement conçue à l'Elysée) en vue d'assurer la vente de centrales nucléaires dans les pays du Golfe Persique. Le Quatar et le Koweït s'intéressent tous deux de près à l'énergie nucléaire. Ils ont signé des accords avec la Russie, le Japon, la Corée et bien sûr la France. Tout ce beau monde propose des centrales nucléaires clés en main. Si l'augmentation de capital se fait avec les deux fonds souverains, je conseillerais à Areva de soigner particulièrement les pactes d'actionnaires. Supposant que ces deux pays décident comme les Emirats, de s'équiper en centrales coréennes, qui les empêchera de revendre leurs participations ? Je leur conseillerais d'ailleurs de les vendre juste avant l'annonce, afin de maximiser leur plus-value. On notera au passage que les pays du Golfe ne constitue pas une zone politique très stable ; est-on alors sûr que les fonds seront des partenaires capitalistiques de long terme ?
Côté industriels, c'est aussi très compliqué : EDF étant un client d'Areva, est en concurrence avec les autres clients d'Areva qui pourraient voir d'un mauvais oeil qu'EDF via une augmentation significative de sa participation dans Areva, ait un accès privilégié aux données de son fournisseur. De plus, la capacité d'Areva à défendre ses intérêts dans ses relations avec EDF serait amoindrie, au grand dam des autres actionnaires d'Areva. Alstom et EDF combattent de leur côté l'arrivée de Mitsubishi, craignant de voir leurs positions commerciales affaiblies. Mais Mitsubishi collabore déjà avec Areva dans le développement de l'Atmea, un réacteur de 1000 MW, complémentaire de l'EPR. Pourquoi une simple prise de participation augmenterait-elle les risques d'entente ou d'exclusion qu'ils prétendent craindre ?
Il reste une question qui taraude mon esprit : pourquoi l'Etat ne s'adresse-t-il pas au grand public français pour cette augmentation de capital ? En fait, à partir d'une simple augmentation de capital qui devrait avoir pour objectif nº1 de permettre le développement de l'entreprise, on cherche manifestement à réaliser d'autres objectifs comme renforcer des partenariats industriels ou des liens commerciaux. Ce qu'on constate surtout, c'est que depuis 6 ans, Areva a été empêchée de faire cette fameuse augmentation, de poursuivre son développement en améliorant sa compétitivité et sa capacité à décrocher des contrats. Cette recherche d'un meccano improbable qui remplirait plusieurs objectifs ne peut que pénaliser la croissance de l'entreprise et notamment la création d'emplois. De grâce, faisons simple en lançant un appel au marché comme une entreprise normale, en privilégiant les investisseurs individuels. L'expérience montre que ces investisseurs sont les plus fidèles, surtout quand ils sont bien traités et que l'entreprise se montre capable de créer toujours plus de valeur années après années, comme par exemple l'Air Liquide dont 40% du capital est détenu par des particuliers.
En freinant le lancement de cette augmentation de capital, les manoeuvres des divers lobbies empêchent notamment le développement rapide d'activités dans l'éolien, le solaire et la biomasse qui sont à l'évidence, des pôles que la direction d'Areva cherche à renforcer. Cette stratégie a des avantages multiples : élargir l'offre aux producteurs d'électricité, compenser les cycles longs du nucléaire par les cycles courts des autres technologies, faire évoluer l'image du groupe vers celle d'un fournisseur global de systèmes de production d'énergie. Potentiellement avec l'organisation commerciale existante, il devrait être possible d'acquérir rapidement des positions solides face aux concurrents déjà en place.
Simplement, laissons à Areva la possibilité de trouver rapidement les ressources financières dont elle a besoin par des voies normales et de mener une stratégie industrielle cohérente et de long terme. Alors, à quand l'augmentation de capital d'Areva sur Euronext ?