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25 décembre 2010 6 25 /12 /décembre /2010 00:50

Le vendredi 17 décembre 2010, Ingenico, le numéro un mondial des terminaux de paiement (ceux que l'on trouve chez la plupart des commerçants) a annoncé avoir reçu une proposition d'offre publique d'achat sur tous les titres de son capital au prix de 28€ par action. Selon la presse, il s'agirait du groupe américain Danaher. Depuis, le gouvernement français s'est agité en indiquant qu'Ingenico est une société au savoir-faire stratégique et a fait pression sur Safran dont l'Etat possède 30% et qui est actionnaire d'Ingenico à hauteur de 22,5%. Comme le conseil d'Ingenico, Safran a annoncé que l'offre était d'un montant insuffisant.

 

Danaher

 

Danaher est un conglomérat américain de quelques 600 entreprises industrielles et de technologie comme il en a existé par le passé, qui ont eu leurs heures de gloire avec un profil de croissance rapide tant des ventes, que des bénéfices et même des dividendes. Ces conglomérats se présentent comme une merveille pour des investisseurs qui n'ont pas beaucoup de temps pour étudier les secteurs technologiques ni de connaissances sur ces secteurs et qui cherchent pourtant à y investir dans de bonnes conditions. Les entreprises de ces secteurs sont très diverses, innovantes et risquées et pour certaines, exercent leur activité dans des domaines qui n'existaient pas il y a 10, 20 ou 30 ans. Il est donc difficile de dénicher celles qui ont le plus beau potentiel. Pas de problème : Danaher et les autres conglomérats du même type le font pour vous et vous garantissent en plus une excellente gestion. En particulier, sur les derniers 5 ans, Danaher affiche une croissance de rêve : +10% sur les ventes chaque année, +18% sur les dividendes et +8% sur le bénéfice par action.

Naturellement, la presse nous raconte que les frères Steven et Mitchell Rales qui ont construit Danaher à coup de LBO (opérations à effet de levier, finançant les rachats avec beaucoup de dette), seraient réputés pour leur aversion à l'endettement (sic) et un modèle de gestion minceur inspiré de Toyota. Une image de gestion rigoureuse et solide portant une croissance rapide et profitable : quelle image idyllique!

 

Il y a plusieurs points sur lesquels on peut cependant s'interroger :

- verser des dividendes (l'argent que l'on donne aux actionnaires) en croissance forte et surtout plus rapide que celle des bénéfices comme le fait Danaher depuis 5 ans, se fait au détriment des investissements (l'argent qui sert à générer la croissance future). Et l'on sait que les entreprises de technologie ont souvent des besoins importants.

- les entreprises de technologie doivent suivre de très près leurs marchés, et parfois réagir rapidement, notamment pour se réinventer lorsqu'elle s'aperçoivent qu'elles risquent d'être déstabilisées par un concurrent introduisant une technologie de rupture. Un bel exemple actuel est celui de Nokia, numéro un des mobiles complètement déstabilisé par les assauts de l'iPhone et d'Android. Un conglomérat comme Danaher, saura-t'il d'une part conserver les managers dans les filiales qui auront le flair et les connaissances nécessaires et surtout saura-t'il les écouter et leur donner les moyens d'action pour réagir suffisamment en amont et avec énergie ?

- Danaher dont les ventes sont d'environ 12 milliards $, vise parait-il les 25 milliards pour 2012 ! Le groupe ne va-t'il pas ressembler de plus en plus à un éléphant qui, comme chacun sait, danse avec beaucoup de difficultés . Depuis 10 ans que Jeffrey Immelt a repris la barre du conglomérat General Electric des mains de Jack Welch et malgré d'innombrables acquisitions et cessions, la formule magique qui semblait guider GE dans une croissance vertueuse des ventes et des profits semble perdue. Et le cours de l'action est passé de $60 en 2001 à moins de $15 aujourd'hui : quelle fantastique destruction de valeur ! J'espère que le même sort ne survienne pas à Danaher, à plus ou moins brève échéance, avec au passage quantité de destructions de belles petites entreprises de technologie.

 

A l'évidence, ce type de conglomérat ne peut être géré que par des financiers : il se place dans des domaines d'activité si divers que le seul lien qui lie les différentes divisions est un lien financier. Aucun dirigeant dont le profil serait industriel ne peut connaître tous ces domaines, chacun d'eux possédant des spécificités propre de marché, de produit, de canaux de distribution, de potentiel. Danaher est semble-t'il conforme à ce profil, le groupe étant dirigé par une holding « légère » de 40 employés. Le piège potentiel qui se trouvera sur le chemin de ce type d'organisation est le poids trop important donné aux structures de contrôle, au détriment de la vision stratégique de chacune des filiales.

 

Le cimetière des entreprises est plein de conglomérats qui n'ont pas survécu aux évolutions rapides des marchés et des technologies. On pourra se rappeler les histoires d'ITT, de Gould et de bien d'autres. Des groupes aux allures de conglomérat comme Siemens, Philips, Thermo Electron, ont complètement revu leurs stratégies ces dernières années en revendant un grand nombre d'activités à fort contenu technologique, diminuant ainsi leur taille et simplifiant leur profil avec des divisions caractérisées notamment par des parts de marché mondiales très significatives et un bon potentiel de croissance.

 

Un investisseur avisé pourra comparer le profil de Danaher avec celui d'une SICAV ou d'un « mutual fund » américain, spécialisé dans les affaires de technologies. Ces derniers, bien sûr, n'ont pas de contrôle sur la gestion mais ont l'avantage de pouvoir acheter et vendre les actions de leur portefeuille lorsqu'ils considèrent que le moment est favorable. Ce n'est pas le cas d'un conglomérat qui peut rester pris au piège d'affaires devenues des boulets dans leur portfolio et obligé de les revendre avec de grosses pertes.

 

Ingenico

 

Ingenico a été créée il y trente ans au moment de l'émergence des cartes à puce de paiement et s'est développée à leur côté. Elle a maintenant des ventes de 700,7 millions € (en 2009, prévisions 2010 : 815 M€) et une présence mondiale, notamment aux Etats-Unis où la carte à puce est encore dans les limbes en tant que moyen de paiement. C'est une belle ETI comme on aimerait en avoir beaucoup dans une France industrielle qui se cherche. On peut comprendre qu'une telle entreprise puisse intéresser Danaher : une place de leader au côté de l'américain Verifone, un domaine technologique, un acteur dédié à un marché. Mais en ne proposant que 28 € par action, soit à peine plus que le dernier cours de Bourse, Danaher a sans doute souhaité tester les réactions des différents acteurs. On peut dire qu'elle a été servie !

 

Que va-t'il arriver ?

 

On notera que les deux fondateurs d'Ingenico, Michel Malhouitre et Jean-Jacques Poutrel sont toujours présents au Conseil d'administration, ce qui garantit une poursuite de la stratégie que l'entreprise a menée depuis sa création. Par ailleurs, Ingenico est au coeur de la filière des moyens de paiement où des leaders mondiaux se trouvent en France : Gemalto, les groupes bancaires, ainsi que des jeunes pousses innovantes notamment dans le domaine du paiement sans contact. Tous ces acteurs possèdent un intérêt particulier à ce que le centre des décisions stratégiques et du développement reste où il est, proche des leurs. C'est effectivement un domaine technologique d'avenir où les acteurs français détiennent un savoir-faire et une position en pointe. On peut donc parier que l'offre de Danaher a très peu de chance d'aboutir, au moins à court terme. Si cette OPA n'aboutit pas, cela ne sera pas à cause de l'agitation des politiques, mais plutôt dû aux poids des acteurs français de la filière des moyens de paiement.

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