Les ETI, catégorie d'entreprise créée par la LME de 2008 (Loi de modernisation de l'économie), sont, parait-il, la clef de notre développement économique. C'est ainsi que l'Etat s'est fixé un objectif de « créer » 2 000 nouvelles ETI de plus de 500 salariés d’ici 2012. Un nombre considérable de rapports et d'études ont été publiés sur les ETI depuis la LME, manifestant l'intérêt et la sollicitude que nos décideurs et têtes pensantes portent à cette catégorie d'entreprises. On peut penser qu'Yvon Gattaz qui a milité pendant de nombreuses années pour la reconnaissance des ETI notamment patrimoniales, est en grande partie à l'origine de cette réussite. Cela provient aussi de la haute considération dans laquelle est tenu le tissu solide d'ETI allemandes, le Mittelstand, qui serait à l'origine d'une grande partie des performances récurrentes de l'Allemagne à l'exportation.
Qu'est-ce qu'une ETI ?
Pour mémoire, les ETI, entreprises de taille intermédiaire, sont caractérisées par un nombre d'employés de 250 à 5 000, un total de bilan entre 43 millions € et 2 milliards € ou un chiffre d'affaires entre 50 millions € et 1,5 milliard €. Elles se placent entre les PME définies en 2003 par l'Union Européenne et les grandes entreprises. Le diagramme ci-dessous permet de déterminer dans quelle catégorie se trouve une entreprise donnée – pourquoi faire simple !
La comparaison avec l'Allemagne
Il est intéressant de se pencher sur quelques éléments de comparaison entre la France et les autres pays européens et plus particulièrement l'Allemagne dont l'économie (le PIB) et la population sont 25% plus importantes que celles de la France et qui est un peu le modèle et surtout l'objectif que nos gouvernants se donnent. C'est aussi notre partenaire économique nº1 dans les deux sens des échanges. Pour rendre la comparaison plus directe, on normalisera les chiffres allemands comme si il y avait parité d'économie et de population avec la France : d'après le tableau ci-dessous fourni par Eurostat, il y a 5000 ETI et grandes entreprises en France et 8135 en Allemagne, soit un rapport normalisé de 0,77. Par contre, le nombre total d'entreprises en France est supérieur de 37% au nombre allemand réel, soit un rapport normalisé de 1,71 (=1,37 x 1,25). Selon les données du classement des 2000 plus grandes entreprises du monde du magasine Forbes, le nombre de grandes entreprises françaises du classement est de 65 avec un chiffre d'affaires global de 2 007 milliards $, et en Allemagne, il est de 57 avec un chiffre d'affaires global de 1 417 milliards $, ce qui donne un rapport normalisé de 1,42 pour les deux éléments.
Ce qui se résume ainsi avec les données allemandes normalisées :
total des entreprises France = 1,71 x Allemagne
grandes entreprises France = 1,42 x Allemagne
ETI France = 0,77 x Allemagne ou Allemagne = 1,30 x France
A l'évidence, l'Allemagne compense une population d'entreprises bien moins importante aux deux extrêmes du spectre par un nombre plus élevé d'ETI, et par des ETI qui sont en moyenne de taille plus importante que les ETI françaises.
Le Mittelstand
Toutes les études citent le Mittelstand comme un modèle mais s'interrogent sur la possibilité de le transposer en France.
On apprend ainsi que les entreprises du Mittelstand sont spécialisées dans des activités de niches étroites de marché, autorisant des marges élevées et favorisant l’autofinancement de leur développement plutôt que l’endettement ; qu'elles sont fréquemment des entreprises familiales, indépendantes des grands groupes avec une implication personnelle des dirigeants et des membres de la famille dans la gestion ; qu'elles baignent dans un « capitalisme de réseaux » de coopération et de mise en commun de moyens collectifs qui sont essentiels à leur compétitivité tout en préservant leur individualisme.
Notamment, le rapport Retailleau de février 2010 balaie la possibilité de transposition de manière assez étonnante en une phrase : « il s'agit d'un phénomène culturel soutenu par le discours politique plutôt que par des aides spécifiques ». Implicitement, l'on comprend qu'on ne peut guère transposer, l'environnement culturel et politique étant différent en Allemagne.
Le rapport Vilain du Conseil Economique, Social et Environnemental, évoque des caractéristiques sociales telles que cohérence entre l’entreprise et son propriétaire, attachement à la forme familiale du capital et sa pérennité, et forte identification des salariés à l’entreprise.
J'observe que de nombreuses ETI françaises présentent des caractéristiques similaires aux entreprises du Mittelstand telles que l'importance des entreprises familiales (40% des ETI selon la DGCIS (Direction Générale de la Compétitivité des Industries et Services)) et l'identification des salariés à l'entreprise. Sur bien des aspects, les cultures françaises et allemandes sont très proches. Les auteurs de ces études auraient été bien inspirés d'approfondir leur analyse du Mittelstand pour pouvoir en tirer des enseignements utiles plutôt que de nier en quelques mots la « possibilité de transposer »
Les mesures proposées
Dans la batterie de mesures évoquée pour favoriser le développement des ETI, l'on retrouve au premier plan l'innovation mais, comme souvent, il s'agit essentiellement de l'innovation technique qui se traduit par plus de recherche et développement et des investissements de productivité. L'innovation est effectivement une des clefs du développement des entreprises, mais elle doit concerner tous les domaines de l'entreprise : non seulement le développement et la fabrication de produits mais aussi le commercial, le marketing, la finance, la logistique, les ressources humaines, … Les équipes de développement sont fréquemment d'un poids trop important face aux équipes commerciales et marketing. Nos gouvernants sont dans l'erreur lorsqu'ils prétendent focaliser les efforts vers la R&D alors que la tendance à surinvestir dans le développement des produits est déjà un travers français. Au lieu d'empiler les aides, ce qui ne contribue pas à assurer l'efficacité de la R&D, il conviendrait surtout de faciliter les partenariats entre entreprises et avec les labos de recherche : oui aux Pôles de compétitivité (mais il s'agit essentiellement de partenariats techniques alors que des partenariats commerciaux seraient encore plus utiles) et aux Instituts Carnot, non à Oseo Innovation.
L'objectif de créer 2000 ETI en 4 ans
Compte tenu de la population actuelle d'ETI, il s'agit d'une augmentation considérable, de l'ordre de 50%. Considérant les mesures proposées et effectivement mises en oeuvre, on peut douter qu'une fraction même de cet objectif soit réalisée.
Comme l'indique un récent article de Pascal Houillon dans Les Echos, « la mue d'une PME en ETI tient davantage à un état d'esprit conquérant qu'à une politique de soutien public spécifique. L'esprit de conquête d'une PME est avant tout le reflet de l'ambition de son dirigeant. » A l'ambition doit s'ajouter la volonté d'ouvrir le capital de l'entreprise plutôt que de sonner aux guichets des aides publiques, « de l'air plutôt que des aides » ! et l'aptitude à s'entourer de nouveaux collaborateurs capables de porter le développement de l'entreprise.
La vrai question est donc : comment créer les conditions et l'environnement qui favoriseront ces trois éléments : ambition des dirigeants, ouverture du capital et mise en place de nouvelles équipes.