Arunachalam Muruganantham est un entrepreneur absolument extraordinaire, à la fois par sa persévérance, sa modestie, son esprit d'invention et finalement par l'impact social immense que son invention a entrainé en Inde son pays et dans bien d'autres pays émergents.
Il semble quasiment inconnu en France et pourtant, c'est un entrepreneur exemplaire qui, malgré de très faibles moyens et de très nombreux obstacles, a finalement réussi à faire aboutir son projet au bout de 10 ans : réaliser une machine à fabriquer des protections périodiques, une machine qui soit utilisable par les femmes des villages, leur procurant ainsi une activité entrepreneuriale et dont les produits soient efficaces et très bon marché pour toutes les femmes de leur village.
Arunachalam raconte que "Tout avait commencé avec mon épouse Shanthi", jeune marié en 1998, il la vit un jour lui cacher quelque chose. Il fut choqué de découvrir que c'était des chiffons sales qu'elle utilisait comme protection périodique lors de ses règles. "Des chiffons qu'il n'utiliserait même pas pour nettoyer son scooter". Shanthi lui répondit que si elle achetait des protections pour toutes les femmes de la famille, elle n'aurait plus assez pour tenir la maison et acheter du lait.
Cette pratique est la cause de nombreux problèmes sanitaires et de la propagation de maladies ; selon une étude de 2011, seules 12% des femmes indiennes utilisent des protections périodiques.
Il s'est alors lancé dans des recherches sur les matériaux adaptés et fit de nombreux essais. D'abord avec du coton, sans succès, puis il réussit à obtenir de la part des fabricants de protections, des échantillons qui se révélèrent être faits de cellulose provenant de l'écorce d'arbre. Il s'est heurté à de nombreuses réticences pour effectuer ces essais, les gens de son village le considérant comme perverti et ensorcelé, au point que sa femme le quitta.
Une innovation majeure : une machine simple et peu couteuse
Au bout de 4 ans, il réussit finalement à concevoir un machine simple et peu couteuse pour produire des protections périodiques ; cette machine comprend 4 éléments : un petit broyeur transformant la cellulose dure en matière pelucheuse, une presse qui forme cette matière en tablettes rectangulaires, l'emballage dans un tissu non tissé et un four de désinfection à ultra violet. En une heure, on peut apprendre à s'en servir.
Sa première machine était essentiellement faite en bois et rencontra beaucoup de scepticisme, notamment de la part des membres de l'Institut Indien de Technologie de Madras. Ces derniers l'ont pourtant inscrit à un concours national d'innovation qu'il gagna face à 943 concurrents ! Il reçut son prix des mains mêmes du Président de l'Inde, Pratibha Patil.
Ce succès le réconcilia avec sa femme, avec sa mère et peu à peu, avec tous les habitants de son village. Il poursuivit le développement de sa machine et en 18 mois, en construisit 250 qu'il destina aux femmes des états les plus pauvres de l'Inde du Nord : Bihar, Madhya Pradesh, Rajasthan et Uttar Pradesh. Il se heurta à une société très conservatrice, qui dénigrait l'usage des protections périodiques avec des mythes comme cela rendrait aveugle ou empêcherait de se marier. Peu à peu, sa machine devint acceptée dans plus de 1300 villages de 23 états Indiens.
Dans tous les cas, c'est une femme qui produit les protections et les vend directement à ses clientes, leur apprend comment les utiliser et souvent les troque pour des ognons ou des pommes de terre. La plupart des clients d’Arunachalam sont des ONG ou des associations féminines d'entraide. Une machine manuelle coute 75 000 roupies (900€) et avec une équipe de 10 personnes, produit 200-250 protections par jour, chaque protection coutant 2.5 roupies (3 centimes €).
Maintenant, Arunachalam projette de développer son activité dans plus de 100 pays, notamment le Kenya, le Nigeria, l'Ile Maurice, les Philippines et le Bangladesh. Il reste modeste et se fie au bouche à oreille pour diffuser sa machine dans les pays émergents. Il déclara récemment que sa plus grande fierté a été d'installer une machine dans un village isolé d'Uttarakhand, au pied de l'Himalaya, où depuis des générations, personne ne gagnait assez pour permettre aux enfants d'être scolarisés, et d'apprendre un an plus tard par une femme du village que sa fille était à l'école, grâce à sa machine. "Où Nehru n'a pas réussi, a t'il déclaré, une machine l'a fait."