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12 avril 2015 7 12 /04 /avril /2015 21:40

Dans un récent article des Echos, Patrick Artus, économiste français de renom, s'inquiète du manque de productivité de la zone euro et du fait que, depuis la fin des années 90, la productivité du travail progresse pratiquement deux fois plus vite aux Etats-Unis que dans la zone euro. Et il conclut curieusement "qu'on ne sait pas exactement pourquoi la productivité recule dans la zone euro par rapport aux Etats-Unis."

Il observe cependant que l'investissement des entreprises en nouvelles technologies s'est établi autour de 4% du produit intérieur brut aux Etats-Unis à la fin des années 90 alors qu'il est resté en-dessous de 2% dans la zone euro. Et il indique que c'est "probablement l'absence de diffusion des nouvelles technologies" qui explique le retard de la zone euro.

 

Mais pourquoi n'est-il question que des entreprises ?

 

Je m'étonne que Patrick Artus ait oublié l'autre part de l'économie qui, dans un pays comme la France constitue plus de 50% de la production (56% en 2014) : le secteur public. On peut légitimement penser que les entreprises faisant face à la concurrence et aux contraintes du marché, investissent ce qui leur parait le mieux adapté en termes de nouvelles technologies. Par contre, le secteur public n'est nulle part soumis à la concurrence : quelles forces peuvent l'inciter à investir dans les nouvelles technologies et à augmenter sa productivité ? Il semble que seule une volonté politique affirmée et diffusée à tous les niveaux, notamment celui des collectivités locales, puisse l'inciter à investir dans les nouvelles technologies.

L'on ne cesse de nous parler de la compétitivité des entreprises qui serait la clef de la croissance, du retour du plein emploi et de la création de richesse. Mais quid de la compétitivité du secteur public, y compris des entreprises comme la SNCF qui détient un monopole protégé et est financée en grande partie par le contribuable ?

 

Les freins à l'adoption des nouvelles technologies par la sphère publique

 

Dans un pays comme la France, les fonctionnaires sont employés à vie, ce qui introduit à l'évidence un élément de rigidité phénoménal face à la mise en place au sein de la sphère publique, de nouvelles organisations et méthodes de travail que pourraient apporter les nouvelles technologies.

N'est-il pas vrai qu'avec l'évolution rapide du monde qui nous entoure, nous sommes et seront amenés à pratiquer successivement plusieurs métiers au long de notre vie ? Certains métiers disparaissent, de nouveaux émergent, les compétences requises pour un même métier changent. Les nouvelles technologies permettent de lancer de nouvelles activités et de créer des entreprises, à moindre coût avec bien moins de ressources. Avec un emploi à vie, la sphère publique n'est pas concernée !

 

L'histoire du logiciel Louvois de paie des armées qui a du être abandonné fin 2013 après 2 ans de dysfonctionnements, est certainement symptomatique des grandes difficultés de la sphère publique, pour mettre en place les nouvelles technologies. Non seulement plusieurs centaines de millions € ont été perdus, mais surtout, il y a eu une perte d'opportunités pour améliorer l'efficacité de la gestion de la paie des militaires. Ce qui est encore plus étonnant est que le ministre de la Défense a décidé de ne pas chercher de bouc émissaire pour "ne pas décapiter tout le monde". Voilà une belle garantie qu'aucun enseignement ne va être tiré de ce scandale, qu'aucune recherche d'amélioration ne va être entreprise et qu'on a tout lieu de penser que cette histoire pourra se reproduire dans l'avenir.

Une autre histoire de logiciel dysfonctionnant est apparue en 2013 : Chorus, le système comptable et financier de l'État, chargé de la facturation des prestataires privés et sous-traitants civils, qui a généré de nombreux impayés depuis son installation en 2009-2010. Les dysfonctionnements de ce système auraient mis en grandes difficultés de nombreuses PME clientes de l'Etat.

 

La Cours des Comptes épingle régulièrement les administrations et les entreprises publiques sur leurs dysfonctionnements et la gabegie qui en résulte. Mais ses recommandations ne sont pas contraignantes et peu d'entre elles sont suivies d'effet.

Dans son rapport public annuel 2015, elle a notamment indiqué que le 4 mars 2014, une réunion interministérielle a entériné l’abandon du projet de refonte du circuit de paie des agents de l’État, l’un des projets informatiques les plus ambitieux et les plus coûteux (346 M€) lancés par l’administration dans la période récente.

 

L'impact des difficultés d'adoption des nouvelles technologies par l'Etat va bien plus loin que le coût direct de ces projets ratés : il en résulte une perte d'amélioration de productivité qui pénalise l'économie dans sa globalité.

 

En supposant que la sphère publique américaine soit affectée des mêmes maux pour adopter les nouvelles technologies, on peut être assuré que l'impact négatif sur l'économie et sur l'amélioration de la productivité du pays serait deux fois moindre : la sphère publique est deux fois plus petite aux Etats Unis qu'en France.

 

La zone euro

 

Un autre facteur que Patrick Artus oublie de mentionner est le caractère unitaire du marché américain face à une zone euro fractionnée. On peut penser que les progrès de l'intégration européenne jusqu'à la fin des années 90, ont assuré une part de l'amélioration de la productivité et de la création de richesses : l'élimination des barrières douanières, un marché de plus en plus commun, soumis à des règles unitaires. La mise en place de l'euro a été le point d'orgue de ce processus. De bonnes intentions comme la déclaration de Lisbonne ont été exprimées, avec beaucoup d'optimisme. Mais elles n'ont pas été suivies d'effets et les pays de la zone euro ont poursuivi leurs politiques propres, notamment sur le plan budgétaire et fiscal et sur le plan du marché du travail. Depuis la création de l'euro, on n'arrête pas de faire des acrobaties pour maintenir la zone euro, alors qu'il faudrait poursuivre une intégration plus poussée. Seule la poursuite d'une intégration plus poussée procurera des éléments de productivité additionnels aux entreprises en Europe qui rendront le marché plus unitaire et plus proche du marché américain.

 

Mais à l'évidence, nous avons à la tête des grands pays de la zone euro des dirigeants dont la vision est surtout limitée à l'horizon des prochaines élections, et non orientée vers une intégration européenne susceptible de bénéficier à tous.

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commentaires

P
Réflexions particulièrement pertinentes. L'Europe est finalement comme le siège social d'une multinationale ... dont toutes les filiales auraient disparu. La seule porte de sortie qui permettrait à l'Europe de reprendre la route serait d'appliquer strictement les critères de Maastricht. Sous la contrainte forte et non négociable des limites à nos dépenses publiques, les administrations n'auraient pas d'autre choix que de modérer un peu leur appétit maladif pour la dépense, et donc, seraient contraintes à innover pour survivre, et surtout cesser d'étrangler l'activité humaine...
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L
Un autre aspect que je n'ai pas évoqué est notre millefeuilles administratif auquel la bureaucratie bruxelloise s'est ajoutée combiné avec un exécutif hallucinant à multiple têtes :<br /> conseil des ministres + président de la commission (JC Juncker) + présidence tournante de l'Union + le président du Conseil Européen (Donald Tusk) + le président du parlement <br /> C'est certainement un autre handicap face à un pays comme les Etats-Unis