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28 avril 2014 1 28 /04 /avril /2014 21:45

Je reviens sur la cas de la cession forcée d'une des unités d'Alstom en 2005. Comme on l'a vu dans mon précédent article, en 2004, Alstom était aux abois, demandant l'aide de l'Etat, laquelle aide est arrivée à point avec les conditions imposées par l'Union Européenne (afin de préserver une concurrence équitable). Parmi les conditions, Alstom devait se délester d'unités constituant un total de 10% de son chiffre d'affaires.

 

En 2003, la division Power Conversion d'Alstom spécialisée dans les systèmes de conversion d'énergie (moteurs électriques, générateurs, variateurs, automatismes), perdait de l'argent. Pour la diriger, Alstom engage en 2004 Pierre Bastid, Centralien de Lyon, qui a occupé des postes de direction chez Schneider Electric, Valeo, Axiohm et Thomson Multimedia. En 2005, les comptes de la division s'améliorent et elle devient naturellement un candidat à la cession ; elle est vendue pour 110 millions € au fonds d'investissement Barclays Private Equity et aux dirigeants de la division en novembre 2005, via un LMBO (rachat avec effet de levier). Pour mettre les choses en perspective, en 2004, le chiffre d'affaires d'Alstom a été de 13,7 Md€ et sa capitalisation boursière de 5 Md€.

 

La nouvelle société prend le nom de Converteam. L'entreprise d'environ 4.000 salariés connait alors un redressement remarquable. Le chiffre d'affaires croit de 33% en 2006 pour atteindre 686 millions €, avec une marge d'exploitation de 10,8%, et 780 millions € de commandes, en croissance de 20%. En décembre 2007, elle est mise en vente avec une valorisation d'environ 1,5 milliards €. LBO France participe au rachat avec Barclays Private Equity et les dirigeants qui réinvestissent leurs plus-values, ces derniers possédant avec l'ensemble du personnel, 30% du capital.

 

Fin 2011, 90% de Converteam est cédée à General Electric pour un montant valorisant l'entreprise 2,6 milliards €, l'équipe dirigeante restant quelque temps (2 à 5 ans) en place avec les 10% restant. Interrogé par la revue Challenges, Pierre Bastid, PDG de Converteam a déclaré que les deux sociétés se connaissaient parfaitement et collaboraient depuis longtemps sur des projets communs ; que Converteam allait devenir l'unité mondiale de General Electric en Conversion d'Energie, un nouveau pôle d'une des cinq divisions du groupe, la division Energie ; General Electric a prévu d'installer le siège de cette unité mondiale en France. Selon Pierre Bastid, l'intégration dans General Electric devrait apporter une plus grande puissance financière, notamment pour faciliter l'apport de garantie aux clients qui souhaitent de plus en plus que leurs fournisseurs assurent leurs risques en cas de problème avec les équipements livrés. De plus, GE allait apporter de nouvelles capacités de production pour permettre la poursuite du développement. En 2011, Converteam employait 5 300 salariés dont 1 200 en France, et plus de 1.600 ingénieurs, et était présente dans plus de 80 pays, a réalisé en 2010 un chiffre d'affaires de 1,1 milliard € avec des commandes en croissance de 36% par rapport à 2009.

 

Et dans le même temps, Alstom avait grossi d'environ 50% en chiffre d'affaires ne valant que 8 milliards € en Bourse soit seulement 60% de plus qu'en 2004, avec de nombreux actionnaires frustrés dont Bouygues. A comparer avec la valeur de Converteam multipliée par plus de 20 !

 

Comment Converteam s'est-elle transformée ?

 

Alstom Power Conversion avait deux sites à Rugby (Angleterre) issu de GEC et à Nancy, spécialisés dans les moteurs électriques et leur pilotage électronique. La stratégie mise en place par la nouvelle équipe en 2004-2005 a été de passer de la position de fournisseur de matériels à celle d'ensemblier proposant des solutions complètes intégrant moteur, électronique et pilotage informatique. Et dans de nombreux domaines, les solutions électriques gagnent du terrain par exemple dans la propulsion des navires. En parallèle, de nouveaux marchés sont exploités et à l'époque de la vente à GE, la situation est devenue très diversifiée : énergies renouvelables (23 %), pétrole/gaz (18 %), industrie (18 %), services (18 %), centrales électriques (11 %).

 

 

On peut penser qu'Alstom a perdu une belle opportunité en cédant Converteam. Mais est-ce certain ? La direction d'Alstom n'avait pas décelé le potentiel de cette division. Le retournement relativement rapide suite à l'arrivée de Pierre Bastid n'a pas éveillé son attention. Aurait-elle donné à l'équipe dirigeante, l'autonomie et la capacité d'initiative qu'elle a gagnée en devenant indépendante ?

 

La réussite de Converteam est en totale contradiction avec le discours ambiant selon lequel Alstom serait trop petit pour faire face aux concurrents et devrait rejoindre un groupe plus gros. En fait, le problème est sans doute la culture interne du groupe, sa capacité à mobiliser les équipes, à réinventer ses métiers face aux changements de marché. Il y a peut-être au sein d'Alstom une dizaine ou une vingtaine de "Converteam" en puissance, que les dirigeants ne sont pas capables de faire éclore et croître.

 

 

On peut regretter que l'équipe de Converteam ait décidé de vendre à GE, plutôt par exemple que de l'introduire en Bourse. Finalement, c'était plus simple pour les dirigeants qui ont su transformer l'entreprise ; ces dirigeants étaient plutôt des redresseurs, appelés au secours par Patrick Kron PDG d'Alstom en 2004, que des fondateurs d'empire. Il y avait aussi sûrement la pression des fonds d'investissement qui devaient rendre leur argent à leurs souscripteurs.

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