La reprise d'entreprise est un chemin compliqué, semé d'embûches. Les nombreuses formations, documentations et recommandations en tous genres proposées aux candidats, sont focalisées sur la phase d'avant-reprise. En fait, cette phase comporte peu de risques, en particulier financiers, dans la mesure où le repreneur ne s'est pas engagé de manière définitive et n'a pas encore mobilisé tous les fonds dont il dispose. Son risque financier est limité à ce qu'il dépense auprès des conseils avec qui il contracte en vue de sa chère reprise : avocat, expert-comptable, mandataire achat.
Afin de réduire encore ce risque, tout repreneur sera bien avisé de ne contracter avec un avocat et un expert-comptable que lorsqu'il sera très avancé dans une négociation, c'est-à-dire après la co-signature d'une lettre d'intention, entre le cédant et lui-même, ce qui équivaut à une promesse de vente dans l'immobilier.
Avec un peu d'expérience et l'aide d'autres repreneurs, il sera à même de rédiger une lettre d'intention tout à fait acceptable sans le secours d'un juriste. Et il serait bien inquiétant qu'il ne puisse examiner par lui-même, sans l'aide d'un expert-comptable, les comptes des entreprises qui l'intéressent ; si c'est le cas, il devrait bien vite suivre une formation accélérée à la comptabilité et à l'évaluation d'entreprises, avant d'aller plus avant dans son projet de reprise.
D'expérience, un mandataire achat n'est vraiment utile que lorsque l'on cherche à négocier directement avec des dirigeants susceptibles de vendre mais qui n'ont pas eux-mêmes mandaté de conseil pour la vente. En effet, il est toujours aventureux de négocier sans intermédiaire avec un cédant, une question anodine posée directement pouvant aboutir sans que l'on n'y prenne garde, à la rupture des discussions.
L'après-reprise est véritablement beaucoup plus compliquée et plus risquée : le repreneur se retrouve soudainement à la tête d'une entreprise qu'il connait peu, d'une équipe qu'il n'a généralement pas rencontrée et qu'il n'a certainement pas choisie, avec des clients et des fournisseurs quasiment inconnus. L'essentiel des informations dont il dispose, lui a été fourni par le cédant, qui a sa vision personnelle des choses, une culture souvent très différente de celle du repreneur et une vue probablement incompatible de ce qui est important et ne l'est pas. Naturellement, il est généralement prévu une période d'accompagnement mais celle-ci est souvent écourtée, la présence du cédant s'avérant encombrante pour le repreneur. Il s'aperçoit aussi rapidement que l'aide apportée par le cédant est très limitée. Et une fois la cession effectuée, le cédant aura l'esprit ailleurs, vers ses futures nouvelles activités.
Une grande attention devra être portée par le repreneur sur quatre points essentiels : l'équipe d'encadrement, les clients importants, les fournisseurs importants, les commandes et marchés en portefeuille.
- l'équipe d'encadrement : elle a souvent eu l'ambition à un moment donné de reprendre l'entreprise. Cette ambition a été déçue puisque c'est vous qui avez réussi à convaincre le cédant de vous vendre son affaire. Soit le cédant a considéré que l'équipe n'était pas qualifiée soit elle manquait de moyens financiers pour convaincre les banques et/ou d'autres investisseurs de les accompagner. Quelle que soit le motif de cet échec, le repreneur risque d'être vu comme un intrus les ayant empêché de réaliser leur ambition.
Ce qu'il importe au repreneur d'accomplir rapidement sera de remporter l'adhésion de l'équipe à la vision et au projet d'entreprise ; le projet pourra évoluer dans les premiers mois en fonction d'éléments nouveaux comme des projets en cours non dévoilés lors des pourparlers. Mais il faudra souvent admettre qu'il est nécessaire de se séparer de certains membres de l'équipe qui n'adhèrent pas au projet.
- les clients importants : ceux avec qui l'entreprise réalise plus de 5% de son chiffre d'affaires ; il faut vite les rencontrer pour établir une nouvelle relation personnelle, pour évaluer la qualité de leurs rapports avec l'entreprise notamment sur les délais de livraison, leur perception des services et des produits, leurs prévisions à court et moyen terme et leur situation financière.
Il sera sage d'éviter tout dossier dans lequel la dépendance d'un seul client dépassera le quart du chiffre d'affaires ; même si la législation est supposée protéger contre les ruptures brutales des relations commerciales : elle n'empêche pas les ruptures de se produire, elle permet seulement d'être éventuellement indemnisé après de longs mois de procédure.
- les fournisseurs importants : peu souvent cités, au contraire des clients, les fournisseurs sont, à mon sens, potentiellement plus critiques et même dangereux que les clients. Imaginons une société de négoce et d'importation qui perdrait une ou deux représentations significatives, ou encore une entreprise industrielle dépendant d'un fournisseur unique pour un composant clef de sa fabrication, qui se retrouverait face à une rupture d'approvisionnement ; comment cela peut-il arriver : que le fournisseur clef soit en difficultés financières, ou qu'il ait des problèmes de qualité ou encore qu'il ait des doutes sur la pérennité des relations avec l'entreprise qui vient d'être reprise ?
- les commandes et marchés en portefeuille : cela peut constituer une pilule empoisonnée. Supposons que le cédant ait pris des marchés à prix cassé, juste avant la cession afin de rendre la « mariée » plus belle. Une autre situation que j'ai connue, est celle d'une entreprise qui comptabilise à l'avancement la construction de systèmes qui se déroule sur plus d'un exercice : qu'avant la cession, l'affectation des coûts et charges soit inférieure à la réalité par rapport à la part de la construction effectivement réalisée, le profit avant la cession sera alors surévalué ; après la cession, le repreneur se retrouvera avec des coûts et charges supérieurs à la valeur restante de la construction, faisant face à une perte.
De nombreux repreneurs témoigneront avec moi que la prise en main de l'entreprise nécessitera souvent un an, peut-être plus, la première année étant alors une année perdue pour tout développement ; finalement, si elle survit à ces écueils et à d'autres, l'entreprise rachetée sera vraiment en ordre de marche seulement après cette période d'adaptation.